Dérive photographique et musicale pour neuf musiciens et récitant

Sur le chemin des Dames, Sur le chemin des âmes

Destins croisés 

Nelly Martyl, l'infirmière-cantatrice

Quelques vedettes féminines de la scène de l’époque partagèrent l’engouement patriotique
en participant à la distraction des soldats dans le cadre du Théâtre aux armées, fondé par le peintre Georges Scott. Parmi ces artistes, il y eut une certaine Nelly Martyl, épouse du même Georges Scott et cantatrice.

Abandonnant les dorures et le velours de l’Opéra-Comique, elle s’engage très tôt comme infirmière bénévole, soignant les poilus blessés de retour du front à l’hôpital de la gare de l’Est à Paris et dans l’Artois. Dès l’été 1916, elle rejoint Verdun.

Son courage et son engagement forcent l’admiration des combattants.

Elle est surnommée « la fée de Verdun ». On la retrouve ensuite sur le chemin des Dames en 1917 ainsi que dans la Somme. Blessée et gazée, décorée de la Croix de Guerre et de la Légion d’honneur, elle est promue au rang de sergent.


Lili Boulanger, la compositrice

À l’arrière, il est d’autres destins de femmes. Celui d’une compositrice, Lili Boulanger.
Enfant à la santé fragile, elle était devenue en 1913 la première femme à remporter le premier grand prix de Rome de composition musicale. En 1914, Lili Boulanger part pour l’Italie rejoindre les autres lauréats à la Villa Médicis. C’est là qu’elle passe les premières semaines de la guerre.

En décembre 1915, grâce au soutien du Comité franco-américain du Conservatoire national de musique et de déclamation, elle fonde avec sa sœur cadette Nadia, la célèbre pédagogue, une gazette qui permet aux musiciens engagés dans le conflit d’échanger des nouvelles réciproques. Dix numéros seront publiés, jusqu’en juin 1918.

Atteinte de tuberculose intestinale, Lili Boulanger meurt épuisée à l’âge de vingt-quatre ans, le 15 mars 1918. Qui prête cependant attention à la mort d’une jeune femme alors que l’Europe se déchire dans un bruit d’apocalypse ?


Destins croisés

Nelly Martyl remontait le moral des troupes – curieuse expression – en chantant des airs d’opéra.
Pour qui Lili Boulanger chantait-elle lorsque, jusque sur son lit de mort, alors qu’elle n’avait plus la force de rejoindre son piano ni même de tenir un crayon, elle dictait dans un murmure les dernières mesures de son Pie Jesu ?

Enterrée au cimetière de Montmartre, Lili repose aux côtés de Nadia dans le monde silencieux des morts depuis un siècle. En 1953, à seulement quelques dizaines de mètres de sa tombe, la fée de Verdun l’avait rejointe après une vie consacrée à aider les nécessiteux.

Si la sépulture de Lili est toujours fleurie, celle de Nelly Martyl est laissée à l’abandon. Il a pourtant suffi d’en gratter la mousse pour que son nom réapparaisse : Nelly Martyl née Martin, veuve Georges Scott 1884-1953. Le destin de ces femmes pendant la Grande guerre a inspiré notre travail. Nous sommes partis le cœur léger, le cœur lourd, à la rencontre de ces deux dames, de ces deux âmes.


Le poilu

1er août 1914. Mobilisation générale. La guerre sera courte et victorieuse, disait-on.
La fleur au fusil, les soldats français, souriants et sûrs d’eux, quittaient les villes, escortés par des foules de femmes et d’enfants qui les applaudissaient, les embrassaient. Seuls les vieillards restaient graves.
Et les héros partaient dans le plein été vers ce qui allait être l’un des plus horribles carnages de l’histoire.

Un milliard d’obus tirés pendant 52 mois. 6 000 morts par jour.

Dix millions de morts de toutes nationalités.

Empires et monarchies s’effondrèrent dans un bain de sang sans précédent.

En France, la moitié des jeunes Français de 20 ans disparut dans l’horreur des tranchées. Dès le début des hostilités, de nombreuses femmes rejoignirent les rangs des infirmières bénévoles dans les hôpitaux de campagne. Surnommées « les anges blancs », elles soignaient et réconfortaient les soldats blessés et à bout de forces. Elles devinrent rapidement de véritables icônes de la Première Guerre Mondiale.


Les champs de bataille

Après l’armistice, 120 000 hectares sont déclarés zone rouge en France car impropres à l’agriculture.
Le sol regorge de métaux lourds et la présence polluante d’obus toxiques, de balles, de cadavres humains ou d’animaux les rend dangereux.

L’État rachète donc ces terres et les remet à l’administration des Eaux et Forêts pourles reboiser. On plante des résineux puis du hêtre. De nos jours, et particulièrement autour de Verdun, ces lieux, jadis des champs de bataille mutilés et éventrés par les combats acharnés, sont si beaux. La nature y a repris ses droits, couvrant lentement les bétons rongés et les ferrailles hérissées. Pourtant si l’on songe à l’histoire, on comprend que ce sont les trous d’obus et de mines qui ont façonné les courbes si douces du paysage.

Le temps n’a pu effacer totalement le bruit et la fureur du passé. Il suffit de fouler cette terre pour sentir la douleur sourdre du sol. Celui qui chemine ici, chemine avec les âmes des morts, et entend dans le vent violent qui siffle les hurlements de ceux qui sont tombés et dont les monuments, dans toutes les villes et les villages de France, rappellent les prénoms et les noms avec une emphase dérisoire.